RDC / Beni : « La situation va du mal au pire »
Pour arrêter le cycle des massacres dans l’Est, la condition indispensable est la dissolution du système militaire mis en place par l’ancien président. Ce qui n’est pas possible sans un véritable changement de régime.
Dans son rapport publié le jeudi 4 juin dernier, la Convention pour le respect des droits de l’homme (CRDH) dresse son constat sur la recrudescence des violences dans le territoire de Beni, théâtre d’un long cycle de massacres démarré en octobre 2014 : « … assassinats des populations par balles, machettes et/ou haches, pillages, incendies des maisons, viols, extorsion des biens et argent… Plus de 100 personnes(1) ont péri dans l’intervalle de trente jours, c’est-à-dire au mois de mai, sous l’œil impuissant des Forces de sécurité et de défense qui y sont déployées », note-t-elle et déplore que « La situation va du mal au pire ».
692 victimes, dont 34 en juin, sont en effet enregistrées depuis le 31 octobre dernier, quand l’Etat-major de l’armée (FARDC) avait annoncé la traque des tueurs et le lancement des Opérations de grande envergure. Sont-elles dirigées contre les responsables des atrocités ou contre nous ?, se demandent les Beniciens en connaissance de cause. Ils savent que des officiers dirigent et protègent les assaillants qui découpent à l’arme blanche des civils désarmés. Des attaques que les autorités imputent à une ancienne rébellion, l’ADF, une version à laquelle personne ne croit.
Parallèlement à l’intensification des violences, un étrange relâchement des Opérations alimente les suppositions. « Avec les Opérations de grande envergure, fait remarquer un membre influent de la société civile qui a voulu garder l’anonymat, le nombre des équipes meurtrières mobilisées et de leurs crimes a augmenté. Mais sans les Opérations, l’espace d’action des égorgeurs s’élargit davantage avec les conséquences néfastes que l’on observe ». Entre l’enclume et le marteau, on dirait…
Fall Sikabwe et Ychaligonza Nduru sur la sellette
Les haut-gradés essaient de justifier ce breakdown par la présence active des groupes Maï Maï, qui affaiblirait les FARDC, ou en évoquant le manque de moyens. Si le premier argument est considéré une pure distraction de la part de la COM de l’armée, le deuxième renvoie au sujet épineux du détournement des salaires de la troupe, dont les officiers supérieurs s’approprient systématiquement. En février dernier, le commandant de la 3ème zone de défense, le général Fall Sikabwe, a été convoqué à Kinshasa par le Conseil de discipline de l’armée et accusé d’avoir empoché la prime de décembre, probablement en complicité avec le patron de la Sukola1, le général Ychaligonza Nduru.
Avec les carnages et l’alignement des cercueils, les Beniciens sont frappés de plein fouet par une vague d’enlèvements. Les disparus sont échangés avec une rançon conséquente, contraints aux travaux forcés par les ravisseurs, ou à l’esclavage sexuel pour les filles.

Une situation qui provoque des déplacements des paysans et parfois l’interdiction, de la part des autorités locales, d’accéder aux champs ou dans les zones éloignées des groupements, « où l’on pourrait tomber dans les mains de l’ennemi », disent-elles. Une mesure controversée : les agriculteurs soupçonnent certains bourgmestres d’aider à créer des « zones grises » au bénéfice des unités FARDC impliquées dans les meurtres et de leurs milices supplétives, qui les utiliseraient pour cultiver la terre ou y installer des camps d’entrainement.
La saison de l’ombre
Errance, rapts, pillages, panique au quotidien, veillées mortuaires… Une interminable saison d’ombres et de meurtrissures accable les Beniciens, cibles d’une guerre réelle et de l’action psychologique d’une main occulte mue par une volonté de domination totale.
Il est grand temps, dit-on à Beni, d’arrêter le cycle infernal. De dissiper les ombres et retourner à la vie. Cela ne pourra pas se faire sans la participation populaire, une insurrection salutaire des esprits, la détection des coupables et de l’engrenage dont ceux-ci sont les éléments. Ceux qui organisent et parfois exécutent les assauts criminels ne sont pas que des « infiltrés dans l’Armée », comme la croyance populaire voudrait. Ils sont les rouages d’un mécanisme létal d’extermination. Eliminer les unes ne porte pas à la disparition de l’autre.
En juillet 2015, depuis dix mois de massacres, la colère des Beniciens, qui avaient repéré les officiers responsables des tueries, a contraint le pouvoir à muter ailleurs les général Mundos et les colonels Muhima, Murenzi et Mugisha. Pourtant, la décimation des civils n’a pas cessé, car le dispositif du crime est resté en place.
Le mécanisme létal
Indexer les coupables d’aujourd’hui -les Chrimwami, Tipy Ziro Ziro et autres Kisembe– est un premier pas. Se battre pour les faire partir, un deuxième. Mais pour que le sang arrête de couler, il faut identifier, puis dysfonctionner l’engrenage. Une réforme en profondeur des FARDC est nécessaire, avec l’assomption d’une doctrine militaire de protection des populations et non de leur contrôle par la terreur et la décimation, comme veulent les théories diverses de la contre-insurrection.
Comment identifier le mécanisme avec ses méthodologies sophistiquées ? Pendant six ans, nombreux indices se sont manifestés, qui permettent d’en mettre en évidence la complexité. Un expert militaire, qui était sur place à Beni en 2014, explique à Maelezo Kongo, sous couvert de l’anonymat, ce qui se passait à l’époque et qui, visiblement, n’a pas changé : « Ceux qui tuaient à Beni sont les militaires du général Mundos. Les FARDC sont constituées en deux groupes : les unités de Mundos, qui dépendent directement du président Kabila, et les autres de la 8ème région militaire. Lorsqu’il y a les attaques des soi-disant ADF, les officiers de la 8ème région militaire affirment en voie confidentielle ne pas avoir l’autorisation d’intervenir de la part de Kinshasa. Par contre, à la fin des massacres, ils se rendent sur place pour prendre les cadavres. Curieusement, les choses se passent d’une manière tout à fait différente en cas de présence d’un groupe de Maï-Maï : les militaires de la 8ème et ceux de la maison militaire de Kabila sortent ensemble les armes lourdes sans attendre le feu vert de Kinshasa ».
Une doctrine anti-insurrectionnelle
Un témoignage qui se recoupe avec ce qu’on lit dans les pages du rapport de la Mission d’information des députés partis enquêter à Beni à la fin d’octobre 2014. On y avait noté « une superposition des unités et une multiplicité de services de sécurité …. Des personnes censées coordonner les actions de protection n’ont pas joué leur rôle …. L’absence d’intervention des éléments des FARDC …. » et surtout, la « Présence de certaines unités militaires indépendantes du commandement local et de la région militaire ». Le document cite aussi « le cas d’un major qui… a menacé de fusiller tout élément de son unité qui oserait intervenir » pour arrêter un massacre en cours.
Dans le même sens, on lit dans le Rapport du groupe des experts de l’ONU, daté 16/10/2015, à la page 20, que « Vingt témoins ont affirmé au Groupe que, lors de différents massacres, ils avaient prévenu les militaires d’une position FARDC très proche des lieux de l’assaut et que, à chaque fois, les officiers avaient répondu de la même manière, en disant qu’ils ne pouvaient pas intervenir, car il était trop dangereux »…
Cela se sait depuis les débuts de cette tragédie. Le chef d’Etat n’est plus le même, mais les massacres continuent car il n’y a pas eu changement de régime. Le système militaire kabiliste est resté en place, avec sa doctrine anti-insurrectionnelle et les mêmes officiers qui répondent aux ordres de Kingakati, le quartier général de l’ancien président.
La dissolution de ce système est la condition sans laquelle les innocents de Beni continueront à être tués.
(1) Le chiffre qui ne tient pas en compte les victimes des « présumés ADF » en Ituri
Luigi Elongui