Est de la RDCongo. Le chemin étroit de la paix

Des nouvelles attaques meurtrières et dévastatrices ont endeuillés l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) entre vendredi 8 et dimanche 10 juillet. Les faits se sont produits en trois endroits différents.

En territoire d’Irumu dans la province de l’Ituri, les villages de Malulu et Busio ont été ciblés par les assaillants qui ont fait cinq victimes parmi les habitants, incendié 254 maisons et kidnappé 117 civils, tous membres de la communauté des Banyabwisha, des immigrés issus de l’ethnie rwandophone Hutue venant du Petit Nord de la province du Nord-Kivu. Des crimes avec une connotation tribaliste évidente.

Puis, dans le secteur du Ruwenzori en territoire de Beni, dans le Grand Nord du Nord-Kivu, le village de Lume a été théâtre d’une tuerie qui a coûté la vie à 14 personnes.

Par une coïncidence qui laisse réfléchir, ces massacres ont eu lieu pendant une accalmie des combats entre l’armée régulière (FARDC) et le Mouvement du 23 mars (M23). De surcroît, des témoignages venant du terrain ont pour l’énième fois détaillé des complicités des « loyalistes » dans les meurtres. Des soldats des FARDC auraient été vus parmi les assaillants, dont nombreux parlaient lingala, la langue de l’Armée. Des biens volés pendant les attaques ont été ensuite retrouvés dans un camp militaire : ils ont été rendus avec les excuses de l’officier de garde…

Un notable de la communauté Nande a, sous le sceau de l’anonymat, informé Maelezo Kongo que « des soldats de l’armée ougandaise de l’opération Shuja conduite en partenariat avec les FARDC auraient interpellé des membres de ces dernières lors des assauts contre les civils ». Une situation embarrassante avec laquelle les Casques bleus de la Mission onusienne (MONUSCO) se sont plusieurs fois confrontés dans le passé.

Depuis le début des massacres de Beni en octobre 2014, il est désormais avéré que les gangs des tueurs étiquetés « ADF » sont une fabrication de certaines unités des FARDC. Les membres de ces forces spéciales sont réunis en une chaîne de commandement parallèle et profitent de la terreur provoquée par les carnages pour tenir sous contrôle les populations et s’adonner au juteux commerce des produits des champs abandonnés par les paysans suite aux violences.

Nombreux rapports des NU et d’autres centres de recherche ont dans le temps fourni les éléments probatoires de celle qui s’apparente à une stratégie planifiée, mais la dite « communauté internationale » fait la sourde oreille et laisse courir pour des raisons inavouées.

Or, cette situation est de moins en moins tolérable pour les populations, dont certains groupes envisagent de prendre en charge leur propre sécurité, et pour un Etat qui se veut de droit. D’autant plus que, depuis 8 ans, le nombre de victimes est en constante évolution. Pour donner un exemple, le mois de juin a fait enregistrer 161 personnes tuées, avec une moyenne journalière sensiblement plus élevée que celle des trois premières années des massacres.

Dans ce contexte, la guerre en cours avec l’M23 obligera le gouvernement de la RDC à faire un choix.

Le fléau du tribalisme

Car il est évident que le mouvement de Bertrand Bisimwa et du général Sultani Makenga, le vice-président qui en dirige l’aile militaire (ARC), vise le retour à la table de négociations de Nairobi avec, parmi les revendications essentielles, celle de l’élimination du « phénomene ADF » et de la pacification globale du Kivu.

Il sied alors de rappeler ce que nous avions écrit sur Maelezo Kongo le 4 juin dernier (https://maelezokongo.com/2022/06/04/rdc-larmee-le-president-le-m23-et-le-rwanda/) : « Dans le communiqué publié le 29 mai 2022 et porté à connaissance des autorités nationale et des organismes internationaux, le M23 rend publics les termes des accords pris à Kinshasa avec  les délégués du gouvernement de la RDC. Et qui auraient dû être entérinés lors des Consultations de Nairobi. Après « Le cantonnement au camp militaire de Mbanza Ngungu », l’ancienne rébellion aurait dû être engagée « aux côtés du gouvernement dans la sécurisation et la pacification de l’Est de la RDC ».  Pour ce faire, « La constitution d’une force spéciale de dissuasion » était prévue, formée par quatre bataillons, dont deux du M23 et deux des FARDC. Ces derniers étant issus, l’un du MLC de Bemba et l’autre des troupes de l’ancien général dissident Faustin Munene. On met en clair dans la suite du document qu’ « Afin d’éviter toute interférence dans la chaîne de commandement classique et se rassures des bons résultats, ces unités spéciales devraient répondre uniquement aux ordres du commandant suprême des armées ». Il est clair que le plan d’actuation de ces accords, la sécurisation de l’Est notamment, aurait mis en danger les intérêts  des généraux des Fardc pour lesquels le chaos de l’Est est source d’enrichissement et de pouvoir. Il aurait également favori un changement radical de Doctrine au sein des FARDC : une Armée chargée de la protection des populations et des frontières et non plus source d’exactions et de meurtres de masse pratiqués comme formes suprêmes de contrôle des populations ».

Il en découle, un mois et demi après la parution de ce document, que la balle est maintenant dans le camp du président de la République, de son entourage et du gouvernement. Soit Tshisekedi réussit à changer les rapports des forces avec son armée qui le tient en otage et procède ainsi à une véritable réforme des FARDC en en démantelant les hiérarchies parallèles qui versent dans le crime. Soit les massacres continuent et alors la stratégie du M23 pourrait intégrer dans ses dispositifs la protection des populations menacées par les escadrons de la mort.

Samedi 9 dernier, un compte tweeter proche du mouvement lançait un message en commentaire des violences en cours en Ituri et dans le Ruwenzori : « Nous vous rassurons que ces événements n’apparaîtront plus dans le sol de la République Démocratique du Congo », tout en réitérant l’engagement du M23 à restaurer la paix et la sécurité à l’Est.

Il faut également souligner que l’issue de cette crise longue au moins 28 ans ne dépend que du seul facteur militaire. Parmi les décisions politiques qui doivent être prises en amont, la suggestion évoquée dans la Feuille de Route de Luanda en conclusion de la tripartite Angola/Rwanda/RDC pose comme exigence préliminaire l’engagement de Kinshasa à faire cesser les « discours haineux » qui ont pour cibles particulières, à part le Rwanda, les communautés rwandophones de l’Est et notamment les Tutsi.

En réalité, tous les groupes armés de l’Est, « ADF », CODECO et autres Maï Maï, sont des bandes ethniques manipulées et pratiquent une forme de tribalisme exaspérée et violente.

Sans l’élimination de ce fléau, la sortie de la crise n’est pas possible.

Le général Laurent Nkunda, fondateur du CNDP, dont l’M23 est la filiation, le savait bien qui, entre 2006 et 2008, organisa une série de « pèlerinages » de réconciliation dans l’ensemble du Kivu déjà ravagé par les conflits inter communautaires provoqués par les élites politiques de Kinshasa et locales en mal de positionnement (https://www.youtube.com/watch?v=1ia1MMBaIjs et https://www.youtube.com/watch?v=ubLsd33UqPk).  

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