RDC. Aux sources historiques de la violence et de l’instabilité à l’Est : les origines de la rébellion du M23
28 Giugno, 2022
Dans la soirée du 5 août 1998 à la base militaire de Kamina, dans l’actuelle province du Haut-Lomami située à l’extrême sud de la République Démocratique du Congo (RDC), une centaine de militaires des Forces Armées Congolaises (FAC) originaires des groupes ethniques rwandophones (Tutsi et Hutu) de l’Est sont désarmés, torturés et tués sur ordre venant de Kinshasa. Dans la capitale, un pogrom était en cours contre des citoyens soupçonnés d’appartenir à ces communautés. Les victimes se compteront par dizaines.
Ce jour-là, à l’aube, le Général rwandais James Kabarebe, ancien chef d’état-major des FAC, limogé quelques jours plus tôt par le président congolais Laurent-Désiré Kabila après la rupture de ses relations avec le Rwanda et l’Ouganda qui l’avaient aidé à prendre le pouvoir à la tête de l’Alliance des forces démocratiques de libération du Congo (AFDL) en mai 1997 (à la fin de la première guerre du Congo, 1996-1997), tentait, à partir de Kitona, au Bas-Congo, un coup de force en réaction à la décision de son ancien allié.
Son intention était d’arriver à Kinshasa, probablement pour évincer le même LD Kabila et mettre à sa place un homme moins hostile envers Kigali. L’initiative échoua 11 jours plus tard suite à l’intervention des troupes angolaises et zimbabwéennes à soutien de Kabila.
Mais l’épisode, grave en soi, a été crucial car il est devenu emblématique de la supposée volonté rwandaise d’ingérence dans les affaires congolaises, réitérée dans tous les discours officiels. C’est le début d’un récit dans lequel Kigali se verra attribuer le rôle de bouc émissaire de tous les problèmes du pays.
La réalité demeure, comme souvent, plus complexe. Il est vrai que l’anomalie d’un chef d’Etat-major d’une armée nationale originaire d’un autre pays, où il exerçait également des hautes fonctions militaires, devait tôt au tard être corrigée. Et il est aussi vrai que le coup de force échoué de Kitona était une violation flagrante de la souveraineté de la RDC. Cependant, il n’en restait pas moins que LD Kabila avait noué, déjà à partir de décembre 1996, des relations avec les anciens génocidaires des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), le groupe armé hutu qui, après la défaite des forces armées rwandaises (FAR) et des milices Interahamwe, desquelles il était issu, rêvait de rentrer au Rwanda pour remettre l’ancien régime mono-ethnique au pouvoir. Cette attitude, de la part de l’ancien porte-parole, devenu président, de l’AFDL, que Kigali ne pouvait considérer que comme un volte face totale, et dangereux pour sa sécurité,
Néanmoins, il est à partir de ces événemenst que les violences contre civils et militaires tutsi et hutu congolais, les premiers en particulier, s’enclenchent et vont se répéter par vagues successives au cours de la longue crise en RDC. Crise qui se poursuit aujourd’hui, comme en témoignent les faits auxquels nous assistons depuis quelques semaines.
En effet, ces derniers jours, les nouvelles de chasses à l’homme contre les rwandophones dans les rues de Kinshasa, mais aussi dans d’autres régions et provinces, comme le Maniema, le Katanga et le Kivu, arrivent de plus en plus du Congo. Cette composante de la population congolaise est accusée de soutenir la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23), avec laquelle la guerre fait rage depuis novembre 2021 et que le gouvernement considère comme un « groupe terroriste » derrière lequel le Rwanda agirait par procuration.
Les politiques de la haine
Suite aux faits d’août 1998 à Kamina et à Kinshasa, et quelles que soient les responsabilités du Rwanda dans la succession des événements – qui feront l’objet d’une prochaine analyse approfondie de notre part -, les régimes qui se sont succédé au pouvoir en RDC ont périodiquement utilisé le tribalisme et la xénophobie comme armes de division et de contrôle des populations dans une logique ultra-nationaliste. A tel point que les politiques de la haine et de la peur, par ailleurs sous-traitées dans les provinces orientales du Nord et du Sud-Kivu aux FDLR, sont devenues une sorte de religion d’État, notamment dans des situations particulières comme les présentes.
Ces politiques sont la cause principale de la crise et en même temps l’élément de diversion qui cache les autres causes : les massacres périodiques de civils qui en découlent et la prédation des ressources naturelles et du budget de l’État.
Provoquée par cette adversité envers le Rwanda et les Congolais rwandophones, enracinée dans l’opinion avec des techniques de manipulation sophistiquées, la Seconde Guerre du Congo, qui – en raison de la participation de nombreuses nations du continent – est entrée dans l’histoire comme la « première guerre mondiale africaine », s’est déroulée entre les forces gouvernementales et deux mouvements rebelles principalement : le Groupement Congolais pour la Démocratie (RCD), devenu plus tard le RCD-Goma (RCD-G), soutenu par le Rwanda, et le Mouvement de Libération du Congo de Jean-Pierre Bemba. (MLC), appuyé par l’Ouganda.
Alors qu’après un an de guerre, les combats viraient à la défaite des forces gouvernementales, un cessez-le-feu fut imposé à Lusaka (en Zambie), le 10 juillet 1999 par la communauté internationale. Cela advint six mois avant l’assassinat du président LD Kabila, qui fut remplacé par son fils adoptif Joseph en janvier 2001, intronisé sous la forte pression des Angolais mais aussi du président du Zimbabwe de l’époque, Robert Mugabe. Alors que la guerre et les violences contre les civils ne s’arrêtaient pas dans l’Est du pays, un Dialogue intercongolais (DIC) fut organisé è Sun City en Afrique du Sud à partir du 24 février 2002, pour arriver à un accord entre les trois principaux belligérants : l’ex-gouvernement, le RCD-G et le MLC.
Pour faciliter le travail de la DIC, le 1er août 2002, un Accord de paix fut signé à Pretoria, toujours en Afrique du Sud, entre la RDC et le Rwanda, dont l’armée soutanait les troupes du RCD-G dans le Kivu. Kigali s’engageait à retirer définitivement ses soldats du Congo tandis que son homologue aurait dû procéder, dans les 90 jours suivants, au désarmement et au rapatriement des FDLR au Rwanda.
Le 17 décembre 2022, l’Accord global et inclusif de Pretoria clôturait le DIC en établissant les principes généraux de la répartition du pouvoir entre les anciens belligérants, la nouvelle Constitution et la formation de la nouvelle armée, à réaliser par l’intégration entre les FAC et les ailes militaires du RCD-G et du MLC.
Les forçages de Sun City
Contre vents et marées, la communauté internationale, emmenée par la France et les Etats-Unis appuyés par certaines puissances régionales, comme l’Angola et le Zimbabwe, était arrivée à imposer le maintien de Joseph Kabila au pouvoir. Le jeune président, impopulaire près de la majorité des composantes du DIC, était notamment détesté par les populations et par les militaires de l’ex-RCD-G dans l’Est du pays, où il avait laissé sévir ses alliés des FDLR et les autres milices tribales et tribalistes appelées Maï-Maï. Un ensemble de gangs armés ciblant spécifiquement les personnes et les soldats appartenant aux communautés Tutsi et Hutu.
Ce forçage n’annonçait rien de bon dans la perspective de la pacification du pays. Avant même l’Accord définitif signé par toutes les composantes le 2 avril 2003 à Sun City et établissant la formation d’un gouvernement unitaire pendant une période de Transition de 2 ou 3 ans à conclure avec les élections, un première crise grave s’installe qui met en danger le fragile consensus jusque-là réalisé.
Par un coup de force, entériné par le Comité International d’Accompagnement de la Transition (CIAT), créé après Pretoria et dont le noyau était formé par les 5 pays membres permanents du CSNU, Joseph Kabila changea les principes constitutifs des nouvelles Forces Armées et des Services de renseignement et procéda à un système non d’intégration, mais de cooptation des armées des mouvements rebelles qu’avaient combattu son armée, dont il assurait d’ailleurs le plein contrôle en ayant exercé le rôle de chef d’état-major.
Les ex-FAC, caractérisées par une forte présence d’officiers katangais comme le même Kabila fils, ne cachaient pas l’aversion pour leurs collègues rwandophones de l’Est, souvent victimes de discriminations et de violences. Suite à ce passage en force, elles devenaient l’épine dorsale de la nouvelle armée, dont la genèse aurait ainsi échappé aux principaux critères de formation osmotique fixés à Sun City.
Cette entorse put se produire parce que les forces présentes dans le CIAT – qui comprenait également la Belgique, l’Angola, l’Afrique du Sud, le Gabon, le Canada, l’Union africaine (UA), l’Union européenne (UE) et la Mission des Nations unies au Congo (MONUC, créée par la résolution 1279 de l’ONU du 30 novembre 1999) considérait J Kabila comme plus enclin à négocier avec les grandes puissances la gestion des immenses richesses du pays via l’application de contrats « léonins », favorables à l’entrepreneur-acheteur étranger, contrairement à Kabila père, qui avait marqué son ascension au pouvoir par une attitude clairement anti-occidentale.
Le péché originel
La tournure prise par la Transition porta en elle les germes de nouvelles divisions et la résurgence des conflits. De ces décisions unilatérales, fit également les frais l’opposant historique du dictateur Mobutu, Etienne Tshisekedi. Principal challanger civil de Kabila fils, celui qui était surnommé le Sphinx de Limeté (arrondissement de Kinshasa) fut exclu de la nouvelle architecture institutionnelle d’une manière proditoire.
Pour résumer, le péché originel de ce processus de pacification impériale, finalement distant des besoins des populations qui cherchaient une réconciliation effective après deux guerres épuisantes et particulièrement coûteuses en vies humaines, peut se résumer dans la partialité de certains choix imposés , dont le plus important fut l’avènement d’une armée, les Forces armées de la RDC (FARDC), dépourvue d’une doctrine de protection des populations et de défense des frontières nationales.
Au contraire, les FARDC, dirigées par un noyau dur d’officiers acquis aux méthodes expéditives de répression des populations, se manifestèrent dès le début comme porteuses d’une virulente philosophie d’exclusion nourrie de réflexes ouvertement xénophobes et continuèrent, comme les ex-FAC, à collaborer avec les FDLR, dont la présence 19 ans plus tard encore sur le sol congolais, représente l’autre contradiction frappante du rôle négatif joué par la communauté internationale dans la gestion de la crise à partir de Sun City.
Ainsi dans l’accord rwando-congolais de Pretoria, l’une des principales clauses prévoyait le
démantèlement de ce groupe armé par le gouvernement provisoire congolais et l’ONU. Mais cette décision, réitérée de dizaines de fois dans toutes les résolutions et dans tous les rapports de l’ONU, est restée systématiquement lettre morte. C’est ainsi que les politiques de la haine tribale et de la violence caractérisée contre les civils, héritées de la guerre, deviendront systémiques.Ellels restent les causes principales et jamais supprimées de la crise, dont le conflit d’aujourd’hui entre les forces gouvernementales et le M23 est l’expression ultime.
Ce mouvement trouve en fait son origine dans les failles, qu’on vient de mettre en exergue, de la gestion de la Transition suite à la fin de la Seconde Guerre congolaise (2002). C’est à cette époque que naît la rébellion nkundiste, dont le M23 est le dernier avatar.
Le premier acte de cette révolte se déroule presque discrètement, mais il doit être retenu comme le signe avant-coureur de la longue histoire en cours.
Début août 2003, le général tutsi Laurent Nkunda, ancien officier du RCD-G, refuse de se rendre à Kinshasa pour intégrer les FARDC en gestation. « Le principal point de désaccord avec le processus en cours concerne les lacunes du compromis sécuritaire. Laurent Nkunda exprime ses inquiétudes en expliquant que le problème de l’insécurité à l’Est causé par les FDLR n’est pas résolu et que les familles réfugiées au Rwanda et les déplacés internes ne pourront pas retourner dans leurs villages avant qu’une solution au problème ne soit trouvée » , explique-t-il Steward Andrew Scott dans son Laurent Nkunda et la rébellion du Kivu (Karthala 2008).
Né le 6 février 1967 à Mirangi, village situé dans la chefferie de Bwito du territoire de Rutshuru, au Nord-Kivu, Nkunda est issu d’une famille qui résidait à Jomba, dans une autre chefferie (le Bwisha) de Rutshuru. Ses parents avaient fui à Mirangi en 1953 lorsque leur communauté fut attaquée par d’autres groupes ethniques. En effet, c’est à la fin de l’ère coloniale que les autorités belges avaient commencé à exploiter les rivalités identitaires entre les différents groupes, provoquant des guerres paysannes et des conflits entre agriculteurs et bergers.
Cinq ans après l’Indépendance, en 1965, une guerre, dite de Kanyarwanda, éclate au Nord-Kivu entre les Hunde, qui se considèrent autochtones, et la composante de la population rwandophone que les colons y avaient transplanté (en deux vagues successives, 1929 et 1956) du Rwanda. Plus tard, lors de ses premières études au début des années 1970, le jeune Laurent Nkunda apprendra l’importance du phénomène du tribalisme, ses diverses ramifications historiques et géographiques dans la région et l’usage cynique qu’en avaient fait et continuaient à faire les pouvoirs coloniaux et locaux. Il découvrira à l’école que beaucoup de ses camarades Tutsi étaient d’origine rwandaise, issus de familles ayant fui le Rwanda entre 1959 et 1960, pendant la période des premiers pogroms anti-Tutsi après la « révolution » hutu (1959-1961) qui avait violemment renversé la monarchie tutsie.
L’humus dans lequel grandit Laurent Nkunda est important pour comprendre les origines d’un mouvement qui occupe la chronique de nos jours d’une part ; en même temps et au contraire, il illustre l’usage qu’en ont fait les régimes congolais successifs et les acteurs internationaux. Le tout dans l’application du fameux principe de diviser pour régner, forme ancestrale et malheureusement escomptée de contrôle des populations, dont le coût en termes de sang versé demeure, depuis tout ce temps, exorbitant.
Après s’être imprégné de l’histoire de sa terre et avoir étudié la psychologie à l’Université de Kisangani (capitale de la province de la Tshopo, au Nord-est de la RDC), Nkunda se lance dans la carrière militaire. Il rejoint les Forces armées zaïroises (FAZ) pendant la période de la dictature mobutiste, puis, en 1994, il s’engage dans la résistance de l’Armée patriotique rwandaise (APR) qui combat les forces responsables du génocide de ses congénères Tutsi au Rwanda. Il devient ensuite officier dans les Forces armées congolaises (FAC) après l’arrivée au pouvoir de LD Kabila en 1997, une année avant de rejoindre la rébellion du RCD-G (1998).
La prise de Bukavu
Si l’Accord de Sun City avait laissé les problèmes du Kivu en suspens, les modalités du processus de formation de la nouvelle armée sous l’impérium des ex-FAC de Joseph Kabila les ont considérablement aggravés : « Depuis la formation du gouvernement de transition en juin 2003, les militaires (du RCD-G, ndr) se sentent abandonnés dans l’est du pays, alors que de nombreux membres fondateurs du RCD-G deviennent ministres. Le 2003 est une année douloureuse pour ces militaires, qui assistent à l’entrée dans le système de leurs anciens dirigeants politiques, qui oublient ceux des leurs qui sont restés en place à l’Est »… (S. A. Scott, ouvrage cité, pages 145-46). Nkunda ne reste pas inactif, maintient le contrôle d’une partie de ses troupes au sein du RCD-G et met en place la Synergie nationale pour la paix et la concorde (SNPC), dont le but est la réconciliatin de toutes les ethnies des deux Kivus, l’un des objetifs fixé et ratés de Sun City… Car la violence intercommunautaire existe toujours, provoquée par des politiciens en compétition pour le pouvoir local et l’appât des ressources. Le général lui-même est contraint d’envoyer à l’étranger sa famille, suite aux menaces reçues à Goma, la capitale du Nord-Kivu.
En avril 2004 à Bukavu, capitale du Sud-Kivu, une révolte éclate de soldats Banyamulenge, des Tutsis des hauts plateaux de l’Itombwe. La communauté munyamulenge est sous pression, les rumeurs d’un pogrom naissant se propagent et certains Banyamulenge sont tués. A la tête des anciennes « Brigades autonomes » du RCD-G, Laurent Nkunda marche sur Bukavu et l’occupe. Après avoir mis fin aux violences, il quitte la ville et se retire à Minova, dans le territoire de Kalehe, au Sud-Kivu, où il résiste aux attaques des forces du général Mbuza Mabe, envoyées par Kabila.
Gatumba: la transition doit continuer !
Le 13 août de la même année à Gatumba, au Burundi et près de la frontière congolaise, un camp de réfugiés Banyamulenge et Babembe, qui avaient fui Bukavu lors des événements d’avril, est attaqué par une coalition de FDLR et de bandes armées tribales, les Mai-Mai, appartenant à la « maison militaire » de Kabila. Les cases sont incendiées en pleine nuit et les rescapés sont massacrés avec les machettes et des armes à feu. Les scènes de la tuerie sont horribles. Au final, il y a environ 147 morts.
Gatumba est l’un des premiers massacres de l’ère Kabila, mais la communauté internationale réunie au sein du CIAT fait profil bas: la Transition doit continuer. C’est à ce moment-là, que le général rebelle crée une structure d’autodéfense pour les communautés vulnérables, l’Anti-génocideTeam (AGT). Si la protection des communautés rwandophones est une priorité, le recrutement et la sensibilisation sont orientés vers toutes les ethnies du Kivu, grâce aussi à l’activisme des membres de la SNPC.
A cause de cette montée en puissance de Nkunda, Kabila décide de se débarrasser du général insoumis et envoie, en décembre2004, 10 000 hommes au Nord-Kivu, recrutés pour la plupart dans les rangs de l’ancienne armée du MLC de Jean-Pierre Bemba. A Kanyabayonga, ville du territoire de Lubero, dans le “ « Petit Nord » du Nord-Kivu, les troupes nkundistes stoppent l’avancée des forces ennemies et la « première guerre » du Kivu se termine par la victoire de Nkunda.
L’avènement du CNDP
Devant la tournure prise par les événements -Kabila ne lâche pas prise et entend reprendre tous les leviers du pouvoir à l’Est en marginalisant les populations rwandophones et les militaires de l’ex-RCD-G-, Laurent Nkunda tente d’élargir l’aire de consensus politique à son action en s’adressant aux membres influents des autres ethnies (Nande, Fuliro, Shi, Nyanga etc) d’une part ; et en renforçant ses capacités militaires de l’autre. Il transforme d’abord l’AGT en Comité militaire pour la défense du peuple (CMDP), puis le fusionne avec le SNPC et crée le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) le 25 août 2005 à Bwiza, près de Kichanga (territoire de Masisi, Nord-Kivu).
La géographie n’est pas anodine dans ce cas, et Nkunda la répétera souvent pour affirmer son autonomie vis-à-vis du Rwanda et aussi par rapport à son expérience antérieure au sein du RCD-G, une rébellion (1998-2002) certainement tributaire du Pays des Mille Collines. « L’AFDL (Alliance des forces démocratiques de libération du Congo, qui en 1996-97 a mené et gagné la guerre contre la dictature de Mobutu, ndr) et la RDC-G sont nées à Kigali, au Rwanda. Le CNDP est né à Bwiza, en RDC, et est un mouvement congolais qui lutte pour les intérêts et la défense des populations congolaises ».
En effet, après la prise de Bukavu, de nombreuses voix s’étaient élevées dans de secteurs importants de la communauté internationale et en RDC accusant le Rwanda d’être à l’origine de ces premiers pas de la rébellion nkundiste : notamment en France, où persiste une vive polémique avec les autorités de Kigali sur les responsabilités de Paris dans l’extermination des Tutsis en 1994 ; mais aussi près d’un puissant lobby anti-rwandais transnational, avec des liens forts dans le monde anglo-saxon et souvent enclin à des positions ouvertement négationnistes. Selon les variantes plus ou moins extrêmes de ces discours, les Tutsis génocidés auraient à leur tour commis un génocide des Hutu, voire provoqué le leur en tuant le chef de l’Etat hutu Juvénal Habyarimana et en infiltrant les milices qui ont massacré leurs congénères.
Le lobby anti-rwandais
Ce conglomérat de forces hétérogènes s’est engagé depuis lors dans une intense bataille
communicationnelle, dont l’objectif ultime et non dévoilé était, et est, de contrecarrer, par la dissuasion et par la force, toute forme d’opposition susceptible de remettre réellement en cause le pouvoir né à Sun City, installé par les grandes puissances et certaines puissances régionales (Angola, Africa del Sud..).
Une telle opposition, en mesure d’émanciper de toute tutelle un pays ultra-riche en ressources naturelle stratégiques, doit être nécessairement désavouée, voire combattue. On doit en meconnaître, ou déformer, le projet politique, jusqu’à la diaboliser à moyen d’un storytelling particulièrement pervers. C’est ainsi que toute l’histoire du CNDP/M23 a été assimilée et réduite à celle d’un groupe dépourvu de toute autoniomie politique, à la solde des ambitions d’expansion militaire et économique de Kigali. Opération de désinformation de haut vol, réussie près d’une bonne partie de l’opinion congolaise manipulée à souhait par les maîtres occultes de l’action psychologique.
Les grands médias se sont imposés comme le principal porte-parole de cette vulgate officielle. Dans son argumentaire s’invitent la thèse du double génocide (après celui du ’94, le deuxième serait celui des Hutus par les victimes de la première extermination, comme nous l’avons vu précédemment), la théorie du 5 millions de morts congolais – évoquée en posture de compétition victimaire pour envisager l’hypothèse d’un « triple génocide » (celui des Hutu congolais, cette fois-ci) -, mais qui a ensuite été démentie par une étude menée par l’UE dans le cadre du recensement électoral de 2006, ou celle de la prétendue volonté de balkanisation de la RDC, qui favoriserait les intérêts du Rwanda, par des rébellions supposées « téléguidées ». Lesquels, en réalité, n’ont jamais fait de la sécession du Kivu un de leurs objectifs.
Les journalistes et les analystes ne sont pas les seuls à y avoir contribué. La France, grâce au contrôle exercé sur le Département des Opérations de Maintien de la Paix (DOMP ou DPKO, selon l’acronyme anglais, plus utilisé) a organisé souvent dans ce sens le travail des « experts » onusiens chargés de rédiger des rapports orientés pour le SGNU. L’un de ces « experts militants » a été identifié comme un sympathisant des milices génocidaires Interahamwe, qu’il avait qualifié de « sincèrement nationalistes » sur sa page Facebook. Avec les autres de son staff, il a avait été recruté par Jason Sterns, un chercheur américain qui s’était vu confier le rôle de coordinateur du groupe et dont de nombreuses sources indiquent qu’il est également un proche des milieux de l’opposition armée à Kigali.
Un homme qui est extrêmement avisé dans la gestion de son rôle. Pour se rendre crédible lorsqu’il désinforme, il utilise la technique éprouvée de donner un coup au cercle et un au tonneau : en 2017, par exemple, il a été l’auteur d’un rapport bien ficelé pour son think tank Groupe de Recherche sur le Congo, dans lequel il accuse à juste titre les FARDC d’être impliquées dans les massacres de Beni, dans le Grand Nord du Nord-Kivu.
Sauf qu’en décembre 2008, il devient le protagoniste d’une gaffequi a fait date. Il fait rédiger un rapport entièrement à charge contre le Rwanda accusé de soutenir le CNDP… le tout moins d’un mois avant le démantèlement du mouvement nkundiste par… le Rwanda. Un événement marquant dont nous reparlerons plus tard.
En revanche, et pour rétablir la réalité des faits, il faut souligner comme emblématique la réaction des dirigeants rwandais suite au premier congrès fondateur du CNDP à Bwiza. Quelques semaines plus tard et sous pression américaine, 47 collaborateurs de Laurent Nkunda, dont l’actuel président du M23 Bertrand Bisimwa, réfugiés au Rwanda, sont arrêtés par les autorités locales et extradés. Le colonel munyamulenge Jules Mutebusi, l’un des protagonistes du soulèvement de Bukavu, est également arrêté. « Laurent Nkunda, en plus de perdre quelques éléments précieux de son mouvement naissant, fait face à un changement d’attitude de la part du Rwanda. A partir de ce moment, il va se rendre compte qu’en plus de ne plus pouvoir compter sur les cadres politiques du RCD-G, il ne pourra plus compter sur le soutien rwandais », note S. A. Scott (ouvrage cité, pages 169 -170).
Toutefois, le général ne change pas sa politique. Son combat pour l’éradication du phénomène FDLR du sol congolais lui garantit au moins la neutralité de Kigali, dont les autorités voyent de bon œil la présence d’un mouvement qui fait office de bouclier, près de la frontière commune, contre les incursions des forces génocidaires.
Le « mixage » de 2007
En janvier 2006, le nouveau commandant des FARDC envoyé sur le territoire de Rutshuru (Nord-Kivu) par J Kabila, l’ex-Mai Mai Kasikila, se rend responsable d’atrocités contre la communauté Tutsi, dont certains membres sont brûlés vifs avec la torture du pneu. Après avoir vainement attendu l’intervention de l’armée, Nkunda défait les troupes de Kasikila en s’emparant de nombreuses localités et en étendant l’aire géographique dans laquelle ses unités – majoritairement issues de trois « Brigades autonomes » du RCD-G (les 81, 82 et 83), renforcées par la suite par d’autres adhésions, celles des Forces de
défense locales (LDF) du gouverneur hutu Eugène Serefuli-, s’occupent de la sécurité des différents communautés de la province.
Ensuite et comme dans la ville de Sake, ligne de front qui sépare le CNDP des FARDC, la tension est forte entre les deux camps, le 21 novembre, la 11ème brigade loyaliste attaque l’Armée nationale congolaise (ANC), branche militaire du CNDP, mais perd la bataille. Les forces de Nkunda avancent vers Goma, la capitale provinciale, mais sont stoppées par l’intervention des hélicoptères de combat de la Mission de l’ONU (MONUC). Qui, pour la première fois, déroge au principe de neutralité de l’ONU et entre en guerre contre le CNDP.
Les négociations entre la rébellion et le nouveau gouvernement formé après l’élection présidentielle de la même année 2006, qui a confirmé J Kabila au pouvoir dans une situation confuse d’irrégularités qui auraient pénalisé le vrai vainqueur, Jean-Pierre Bemba, se déroulent durant le mois de décembre. Elles se concluent par un gentleman agreement qui sera appliqué via l’Accord de Goma du 16 janvier 2007.
Selon ses clauses, les forces de l’ANC et celles des FARDC se réuniront dans un processus dit de « mixage », dans lequel chaque unité préserve son intégrité sous un commandement unifié. Une procédure manifestement de compromis -officiée pour la composante gouvernementale par le général John Numbi, figure de proue du régime-, et qui révèle toute la méfiance persistante entre les deux camps, chacun conservant sa propre chaîne de commandement.
En position d’infériorité militaire, Joseph Kabila a ainsi été contraint de composer, même si partiellement, avec un mouvement dont le programme ne se limite plus à la protection d’une communauté, à la réconciliation des différentes ethnies de l’Est et au démantèlement des bandes génocidaires des FDLR. Le CNDP s’investit désormais dans la critique radicale d’un régime fondé sur le système patrimonialiste d’appropriation des ressources naturelles et étatiques par la classe politique, et sur une idéologie national-populaire fondée sur la promotion de la haine tribale, de l’ethnicisme et de la xénophobie.
Les forces mixées devaient mener ensemble, selon les accords pris, une campagne militaire contre les FDLR, avec lesquelles cependant, les officiers supérieurs des FARDC continuaient à coopérer. Les troupes de l’ANC, commandées par Sultani Makenga, actuel chef militaire du M23, installé au Sud-Kivu, remportent une série de succès contre les FDLR. Cette tournure des événements, malgré les accords passés, n’est pas appréciée par les hautes hiérarchies des FARDC. Ainsi, après seulement 7 mois, l’opération de mixage échoue lorsqu’en juillet, une brigade sous commandement FARDC attaque les positions d’une unité ex-ANC.
Le mixage a vécu, mais il reste l’objet d’une autre légende congolaise. Pour expliquer la faiblesse congénitale de leur armée, les franges les plus extrémistes desofficiers supérieurs, de la société civile et de la classe politique recourent à l’argument de l’ « infiltration rwandaise» dans les FARDC. Infiltration qui se serait produite lors des opérations de mixage avec les troupes du CNDP. Qui, après tout, a duré quelques mois seulement et n’a jamais atteint le stade d’un véritable brassage…
La Conférence de Goma 2008
Quoi qu’il en soit, après Kanyabayonga et Sake, la « troisième guerre du Kivu » se déroule à phases alternées et aboutit à la victoire spectaculaire de l’ANC qui regagne le camp de Mushaki, précédemment perdu, avec une opération militaire nocturne qui surprend les forces adverses. En position de faiblesse, les loyalistes signent le cessez-le-feu en décembre 2007, prélude à la conférence de paix de Goma de février 2008, à laquelle, outre au CNDP, sont conviés les groupes armés de l’Est, créant ainsi un amalgame entre un mouvement avec une vision politique et des gangs tribaux sans cause ni projet.
Dans l’accord final, Kinshasa s’engage à promulguer une amnistie, organiser le retour des réfugiés qui sont dans les camps des pays voisins, déclarer le Kivu « zone sinistrée » et en étudier un plan de développement, démanteler les FDLR. Aucune de ces conditions ne fut ensuite remplie. Ainsi, les hostilités reprennent en août dans le territoire de Rutshuru. La énième défaite des FARDC, qui ouvre la voie aux négociations à Nairobi (Kenya), est un signal d’alarme pour le régime qui, à ce stade, craint pour sa propre survie face à un mouvement insurrectionnel aux ambitions désormais nationales .
Le « golpe » de Kigali en 2009
C’est dans cette séquence de l’histoire que le Rwanda entre en jeu, avec un rôle qui est à l’inverse de celui que lui attribuent les récits officiels, qui le cantonnent dans la figure de l’éternel pays agresseur. Paradoxe de la grande bataille communicationnelle qui, dans cette partie tourmentée de la région africaine des Grands Lacs, se déroule sans retenue depuis 1994.
Le président rwandais Kagame ouvre le bal en déclarant : « Si Kunda se bat pour protéger sa communauté, son combat est respectable ; mais si Nkunda se bat contre le gouvernement de Kinshasa, alors son rôle est celui d’un chef de guerre et, en tant que tel, je le combats ». En décembre 2008, l’alors chef d’Etat-major de l’armée rwandaise (RDF), Marcel Gatsinzi, déclare à la presse : « Nous nous préparons à prêter main-forte à nos amis congolais, afin qu’ils règlent une fois pour toutes le problème de la rébellion à Est ».
Kigali agira ainsi en organisant un « putsch » interne au CNDP (qui ne réussira qu’en partie) et en procédant à l’arrestation de Nkunda, qui se trouve depuis lors en résidence surveillée en territoire rwandais. Ensuite, tous les officiers du CNDP qui lui étaient restés fidèles furent obligés de négocier et signer les Accords du 23 mars 2009, dans lesquels, outre les revendications précédentes que le CNDP avait posé dans le temps, fut décidé de mettre en œuvre la réforme de l’armée.
La non-application de ces accords est à l’origine de la « cinquième guerre » (2012-2013) avec le même mouvement, qu’à cette époque ne s’appelle plus CNDP, mais M23. Cela termine avec les Protocoles de Nairobi, dont les clauses n’ont pas été respectées non plus par Kinshasa. On ouvre ainsi la voie au conflit qui a débuté en novembre dernier et se poursuit dans une phase d’incertitude et de tensions régionales extrêmes, avec le Rwanda à nouveau
accusé, notamment par le gouvernement congolais, de soutenir la rébellion congolaise du M23.
Un sort étrange pour ceux qui avaient pris leurs distances avec les insurgés nkundistes dès 2005 et qui, quatre ans plus tard, en janvier 2009, s’étaient directement impliqués pour porter un coup très dur aux ambitions du mouvement. Sans oublier qu’en novembre 2012, alors que le M23 occupe Goma pendant quelques jours, le Rwanda est le premier pays à élever la voix en demandant aux rebelles de quitter la ville.
Ironie du sort, les autorités rwandaises qui ont su reconstruire un pays détruit par le génocide en mettant fin à la haine tribale, sont indirectement appelées à écraser un mouvement qui se bat pour ce même but…
Tribalisme meurtrier
Or ces jours-ci, les masses congolaises surexcitées par la propagande gouvernementale réclament d’être armées par les autorités pour « porter la guerre à Kigali », alors que la chasse aux Tutsis a déjà fait de nombreuses victimes. A l’Est de la RDC, le récit officiel s’érige en vérité d’Etat et subsume les faits réels qui disparaissent dans la bataille communicationnelle menée jusqu’aux aboutissements extrêmes du terrorisme psychologique.
Les extrémistes congolais refusent d’être accusés de tribalisme, qu’ils proclamentétranger à leur pays. Mais l’histoire prouve le contraire. Comme le rappellent les pogroms contre les citoyens originaires du Kasaï, soumis à une purge massive au Katanga entre 1992 et 1994. Mais surtout comme le rappellent les événements plus récents, survenus sous la présidence de J. Kabila : les milices ethniques Tetela et Tshokwe du Kasaï, organisées pour traquer les Baluba lors de la répression féroce de la révolte Kamwina Nsapu en 2017, ou le massacre des Banunu de Yumbi (province du Mai-Ndombe, décembre 2018) par la milice Batende organisée par l’actuel gouverneur de Kinshasa Gentinyi Ngobila. Et tout le cycle des massacres de Beni, dans le Grand Nord du Nord-Kivu, où les des bandes ethniques autochtones (Vouba, Talinga, Pakombe), manipulées par certains gradés des forces spéciales de l’armée, ont massacré et continuent de massacrer une partie de la population Nande, considérée comme « allochtone ».
En RDC, la gouvernance par la haine, la terreur et la prédation est sur le point d’atteindre un point de non-retour qui pourrait menacer l’unité et la cohésion sociale du géant d’Afrique Centrale, l’un des pays les plus riches de la planète en ressources naturelles stratégiques.