RDC : Alingete et la « sale guerre » de l’Est

Responsable de l’Inspection générale des Finances (IGF) et homme de confiance du chef de l’Etat Félix Tshisekedi Tshilombo, Jules Alingete est l’une des figures de proue dans le sérail politico-médiatique de la République démocratique du Congo (RDC). Envoyé en mission aux Etats-Unis avec un agenda de meetings avec les investisseurs américains, le patron de la structure créée par décret en 2019 dans le cadre de la « lutte contre la corruption » se trouvait à Houston, dans le Texas, pour participer au North Southern Investment Forum organisé le 26 avril dernier.

Pendant son discours face à une assise de chefs d’entreprises, Alingete voulut rassurer l’auditoire en affirmant que le « climat des affaires » était assez propice pour les partenaires étrangers en RDC où, contrairement à certaines informations circulant dans la presse, « il n’y a aucune guerre ».

Une véritable gaffe

Vite reprise par les médias et dans les réseaux sociaux, sa déclaration, considérée comme une gaffe véritable dans la meilleure des hypothèses, fit scandale dans la presse  et dans les milieux politiques et de la société civile locaux.

Parmi les nombreuses réactions, le député national Jackson Ausse, un élu d’Irumu dans l’Ituri, province parmi les plus ravagées par les violences des bandes armées qui s’acharnent surtout sur les populations et affrontent sporadiquement l’armée (FARDC), a adressé le 28 avril une interpellation à l’Assemblée nationale pour exiger que le chef de service de l’IGF vienne donner ses explications devant la chambre basse.  

Les députés de l’Est du pays, où les habitants du Sud-Kivu, du Nord-Kivu et de l’Ituri vivent un calvaire indicible de massacres, pillages de biens et déplacements massifs, étaient en particulier choqués  et indignés. Ils ont considéré l’attitude d’Alingete non seulement un déni de la réalité des faits, mais comme une forme de mépris pour ces millions de ses concitoyens qui sont soumis depuis tellement d’années à un cauchemar au quotidien.

« S’il n’y a pas la guerre en RDC, que est ce qu’elle y fait la MONUSCO ? Pour quelle raison les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu sont dirigées par des autorités militaires suite à la proclamation de l’état de siège ? S’il n’y a pas la guerre, qui a tué les milliers de Congolais dans l’Est, étant donné que depuis les années ’60 on a comptabilisé un million de victimes environ ? Et quelles sont les raisons qui ont poussé plus de 4 millions de Congolais à quitter leurs foyers ? », s’est demandé l’élu.   

Le même jour, l’Organisation non gouvernementale Kivu Security Tracker (KST) a publié les statistiques du 2021, selon lesquelles plus de 2500 civils ont été tués en Ituri et au Nord-Kivu où l’état de siège a été promulgué. Exactement le double de celles enregistrées en 2020. Ce qui pose nombreuses questions sur la pertinence de la décision de l’Exécutif et sur le comportement des forces armées. Le rapport de KST termine avec une remarque, qui pourrait bien s’adresser à Alingete : « Tout cela s’appelle ‘guerre de basse intensité’, mais il s’agit néanmoins d’une guerre », dont les civils sont la cible privilégiée, comme on verra par la suite.  

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Un résumé des événements est en fait nécessaire pour comprendre comment cette situation s’est créée, avec un nombre invraisemblables de victimes depuis au moins 2014. Ce qui la situe approximativement dans le même ordre de grandeur de morts tués au quotidien par la guerre en Ukraine. Avec la différence que cette dernière est hyper-médiatisée, alors que personne dans la presse internationale ne parle de celle de l’Est.

Or, bien que les régions orientales de la RDC aient été théâtre de conflits à partir de l’Indépendance, on peut dater en 1994 le début du cycle actuel des guerres asymétriques qui ont bouleversé les existences de 17 millions de personnes dans un territoire vaste trois fois la Belgique.  Sans compter que, mis à part cet épicentre de la violence, le fléau des conflits endémiques atteint d’autres régions, comme le Maniema, le Katanga et le Kasaï.    

L’enfer des civils

C’est ainsi que, depuis 28 ans, ces trois provinces orientales de la République démocratique du Congo sont théâtre d’atrocités contre les populations civiles.  A l’origine du phénomène, en 1994, l’arrivée des militaires et miliciens exécuteurs du génocide des Tutsi au Rwanda aura déclenché une succession de guerres et une insécurité généralisée sur l’ensemble de ce territoire. 

Ces anciens génocidaires, mus par le rêve de reconquérir le Rwanda pour aller « terminer le travail » et réarmés avec le soutien de la France et du président de l’ex-Zaïre, Mobutu Sese Seko, commencèrent à s’en prendre aux populations tutsies congolaises, notamment à la communauté munyamulenge des hauts plateaux de Fizi, dans le Sud Kivu.

Face aux attaques incessantes, les Banyamulenge se révoltèrent contre le gouvernement en 1996, en même temps que les combattants du Mouvement révolutionnaire de libération du Zaïre, dirigé par Masasu Nindaga et réunissant les jeunes (Kadogo) issus de toutes les ethnies du Kivu.

Avec l’apport de deux autres formations mineures, un soulèvement général suivra qu’en mai 1997, portera au pouvoir une « Alliance démocratique » (AFDL) appuyée par le Rwanda et l’Ouganda. Elle sera présidée par Laurent-Désiré Kabila, qui destitue Mobutu et dont le fils, Joseph, prendra ultérieurement la succession, après l’assassinat non élucidé de son père, en 2001. Le Zaïre change aussi de nom, s’appellera dorénavant République démocratique du Congo (RDC). 

En 1998, la rupture entre L. D. Kabila et ses alliés de Kigali provoque la dite « deuxième guerre du Congo » qui se prolongera jusqu’en 2002, impliquant au passage tous les Etats de la région, et laissant grand nombre de victimes dans la population civile.

Au Nord Kivu, la présence persistante des anciens génocidaires rwandais – organisés au sein des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), ou intégrés dans l’armée congolaise (FARDC), et alliés du gouvernement –, est la cause majeure des conflits armés, déplacements de populations, viols et tueries, qui finiront par provoquer une intervention de l’ONU.

La Mission de l’ONU en RDC (MONUC, devenue MONUSCO en 2010), est ainsi établie par la résolution 1279 du 30 novembre 1999. Elle sera subtilement dévoyée de son mandat, puisqu’en accord avec les FARDC, collaborera avec les FDLR pour s’en prendre à… leurs adversaires du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) et du M23. Ces deux rébellions, l’une étant l’héritière de l’autre, étaient justement organisées pour combattre les responsables du génocide en quête de revanche. Elles seront finalement liquidées en 2013, grâce à l’intervention d’une Brigade spéciale de l’Onu, reconnue comme la première force offensive de l’histoire des Casques bleus.  

Mais à partir de 2014, la violence s’intensifie à l’Est. Les massacres deviennent systématiques, œuvre d’une planification certaine. Ils sont organisés avec des méthodologies sophistiquées de dissimulation et accompagnés par une stratégie cohérente de communication et désinformation.

Nombreux rapports de l’Onu et des ONG ont dénoncé la main de l’Etat dans ces carnages contre les civils sévissant depuis octobre 2014 dans le territoire de Beni et à partir de fin 2017 en Ituri. Au Sud Kivu, les Banyamulenge font en même temps l’objet d’opérations de nettoyage ethnique par des milices supplétives de l’armée.

Le guerre contre les civils ne dit pas son nom, mais le nombre des victimes ne s’arrête pas.  

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