RDC. Gatumba, 16 ans après : les noms des responsables sont connus. Le début d’une procédure judiciaire est attendu
Des poursuites contre deux généraux et un major des FARDC sont-elles en train d’être prises en examen par l’Auditorat militaire du Sud-Kivu ?
La nuit du 13 au 14 août 2004 à Gatumba, au Burundi, un camp de réfugiés Banyamulenge (Tutsi d’Uvira et Bukavu, au Sud-Kivu, dans l’Est de la République démocratique du Congo, qui avaient fui les exactions du commandant de la 10ème région militaire, le général Mbuza Mabe) est pris d’assaut par une coalition hétéroclite et supranationale : armée (FARDC) et formations Maï-Maï congolaises, Interhamwe et ex-FAR rwandaises, responsables du génocide de 1994 au Pays des mille collines, et Forces nationales de libération (FNL) burundaises, une groupe extrémiste anti-Tutsi.
Bilan de l’attaque : une centaine de blessés et 166 civils tués, dont femmes, enfants, vieillards et quelques réfugiés issus des communautés Bembe et Fuliro du Sud-Kivu. Munis de bouteilles d’essence, de machettes et d’armes à feu, les assaillants étaient arrivés dans l’obscurité en chantant des hymnes religieux.
Quatorze ans après, Maelezo Kongo revient sur cet acte de génocide pendant que l’actualité du Sud-Kivu alerte sur des nouvelles menaces incombant sur la communauté munyamulenge vivant dans les hauts-plateaux de l’Itombwe.

Un climat de haine ethnique
A l’époque de l’événement, nombreux témoignages et enquêtes révélèrent dynamique et auteurs du crime, dont le mobile était lié au climat de haine ethnique installé dans le pays depuis 1998. En août 2013, un papier de l’Agence d’information (https://lagencedinformation.com/037-le-feu-et-la-machette.html) en fait une synthèse tout en apportant des nouveaux éléments avec la contribution de la rédaction du mensuel panafricain Afrique Asie. De ce papier, nous en reprenons des larges extraits, enrichis par d’autres indices venant de notre travail rédactionnel.
Faits et protagonistes peuvent ainsi être restitués : pendant qu’une unité de rebelles hutus burundais des Forces nationales de libération (FNL) menaçait l’emplacement limitrophe des FAB (Forces armées burundaises) pour en éviter l’intervention, les militaires des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda, miliciens issus des Interhamwe et des ex-Far) et FARDC (en grand partie des combattants Maï Maï à peine intégrés) s’adonnèrent à la tuerie. Lendemain matin, les effets étaient encore visibles pour les journalistes : cases calcinées et, par terre, des dizaines de corps carbonisés après avoir été achevés à la machette.
Venant de la RDC et en nombre de 700, les auteurs du carnage avaient franchi la frontière avec le Burundi depuis le Sud-Kivu et étaient organisés en deux colonnes : l’une en passant par Kiliba et l’autre, en provenance d’Uvira, par le poste douane proche de Nyangara. Les deux groupes, qui firent jonction dans le village burundais de Kaholoholo avant de mettre en exécution leur plan, étaient sous le commandement du major Ekofo des FARDC, du commandant Zabuloni, un chef Maï Maï d’Uvira, et du major Kanyambi des FDLR.
Des ordres donnés à Kinshasa
Selon plusieurs rapports et témoignages concordants -dont ceux du ‘Pole Institute’ de Goma, du Rassemblement congolais pour la démocratie, du Comité des rescapés de Gatumba, de Survie, de la Communauté munyamulenge, de l’Observatoire d’Afrique centrale (Obsac) et de Radio France Internationale- l’opération avait été conçue par l’Etat-Major de la maison militaire du président de la république Joseph Kabila et ensuite commanditée par le patron de la 10ème région militaire du Sud-Kivu à la Brigade du colonel Nakabaka qui en avait confiée l’exécution à Ekofo et à Zabuloni. Dans la nuit du 12 août, une réunion opérationnelle s’était déroulée dans la résidence du colonel Mutupeke, commandant de la Brigade d’Uvira.
Pièce maîtresse du dispositif opérationnel, le chef de l’Etat Joseph Kabila fut pointé du doigt. Selon le Mémorandum du RCD-Goma du 18 août 2004, « Il est difficile de croire que le Commandant Suprême qui a de l’ascendance notoire sur les forces ex Maï Maï et sur le commandant de la 10ème région militaire issu de sa composante n’ait pas donné son aval ou alors n’était pas au courant. Si le Commandant suprême des forces armées qui se trouve être le président de la république avait nommé le commandant adjoint de la 10ème région militaire, poste qui aurait dû revenir au RCD selon le Accords de Sun City, et tel qu’on le lui demandait avec insistance depuis six mois, l’acte de génocide ne se serait pas commis. Ce refus délibéré de nommer un officier RCD comme de droit participe de la préparation préméditée de l’acte de génocide ».

Des alliances « stratégiques »
Tous ces faits sont corroborés par la nature de l’alliance FARDC/Maï-Maï/FLN/FDLR. Celle-ci n’était ni épisodique, ni circonstancielle, et restera en place pendant des longues années…
Ainsi, dans la Lettre datée du 23 novembre 2009, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Président du Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1533 (2004) concernant la République démocratique du Congo, au paragraphe 31, le colonel Nakabaka est indexé pour avoir caché les armes ensuite utilisées dans l’attaque du 9 avril 2009 contre la ville d’Uvira par un réseau de forces comprenant le FLN, les FDLR et les Maï-Maï de Fudjo Zabuloni. On lit, plus avant, au paragraphe 33 : « La plupart des ex-combattants des FDLR au Sud-Kivu présentent le colonel Nakabaka des FADRC, ancien combattant Maï-Maï, comme un allié important des FDLR… Le Groupe a par ailleurs prouvé… qu’en 2009, le colonel avait eu une communication téléphonique avec le major Fudjo Zabuloni, commandant des Maï-Maï Zabuloni dans le territoire d’Uvira. A la même époque, le colonel Nakabaka était également en contact avec le major Mazuru, responsable du service de renseignement des FDLR. Il a été rapporté que les éléments dissidents du FNL ayant participé à l’attaque du 9 avril 2009 avaient été recrutés au Burundi par des ressortissants congolais ». On saura aussi, toujours par la plume onusienne, que « Depuis le massacre de Gatumba, le colonel Nakabaka s’est approprié des biens appartenant aux victimes et a pourvu leurs postes. Depuis le début de novembre 2004, le commandant de la dixième région militaire menace de limoger le colonel Nakabaka pour ces activités, mais celui-ci est toujours en poste. L’appui accordé par le colonel Nakabaka aux groupes armés étrangers dans la RDC constitue une violation de l’embargo sur les armes ». Remercié par ces bienfaits et devenu général de brigade, Baudouin Nakabaka est bombardé commandant adjoint chargé de l’Administration et logistique de la 13ème Région militaire dans le remaniement des FARDC du 18 septembre 2014.
Organisateur principal du massacre de Gatumba, Nakabaka a été épaulé dans l’œuvre par le colonel Dieudonné Mutupeke qui, lui, a été nommé général, puis commandant de la 11ème Région militaire dans le même décret de septembre ’14. Poste qu’il occupait encore en fin juin dernier. Quant à celui qui a commandé l’opération sur le terrain, la major Ekofo, le rapport du Bureau conjoint des NU aux droits de l’homme « SUR LES VIOLS MASSIFS ET AUTRES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME COMMIS PAR UNE COALITION DE GROUPES ARMES SUR L’AXE KIBUA-MPOFI, EN TERRITOIRE DE WALIKALE, PROVINCE DU NORD-KIVU, DU 30 JUILLET AU 2 AOUT 2010 » fait état de l’implication dans les faits d’une brigade des FARDC sous son commandement.
Aujourd’hui encore, dans l’Itombwe
Cinq et six ans après Gatumba, ses protagonistes sont toujours à l’œuvre à l’Est de la RDC, et dans le même cadre d’alliances. Seize ans après au Sud-Kivu, dans les hauts-plateaux de l’Itombwe, une coalition des FARDC avec des miliciens Maï-Maï et des groupes rebelles burundais est opérationnelle dans la traque contre la communauté munyamulenge.
Raison de plus pour que justice soit faite. L’Auditorat militaire du Sud-Kivu, à l’instar de celui du Kasaï qui est en train de poursuivre les responsables présumés du massacre de Nganza en 2017, est-il prêt à entamer la même procédure contre les généraux Nakabaka et Mutupeke et le major Ekofo ?
La Rédaction