« On dirait que les Nations-Unies et l’État congolais attendent que tout Beni ville et territoire deviennent des cimetières… »
L’histoire « compliquée » de la force onusienne la plus chère au monde (MONUSCO, Mission des Nations-Unies pour la stabilisation du Congo) s’est enrichie d’un chapitre avec l’assassinat d’un casque bleu indonésien par les mêmes mains qui, depuis six ans, tuent des innocents
Cet épisode est l’énième d’une tragédie consommée dans l’inaction face aux massacres et aux violences qui sévissent dans les provinces orientales du pays.
L’abdication inquiétante à son mandat de protection des civils questionne sur le rôle controversé de la mission en tant qu’alliée du pouvoir de Kinshasa et de son armée, dont certains officiers ont été accusés de crimes contre l’humanité par les NU, l’UE et les USA.
Face à cette passivité coupable, un député et défenseur des droits humains, lance un cri d’alerte en évoquant l’impitoyable décimation de la population et les « forces obscures » qui sont à l’origine de l’effusion de sang
Le nombre des victimes des « présumés Adf » ne cesse pas d’augmenter à l’Est de la république démocratique du Congo (RDC). Le week-end du 20 au 21 juin, une vingtaine de personnes ont été tuées à Mwenda, localité du territoire de Beni, et en chefferie des Banyali, dans la province voisine de l’Ituri. Dans la soirée du lundi 22, un casque bleu indonésien a été tué et un autre blessé dans une embuscade à Makisabo, près du pont sur la rivière Semuliki, en territoire de Beni.
On dénombre 731 victimes, dont 73 en juin, depuis le 1er novembre ’19, date de lancement des Opérations de grande envergure de l’Armée (FARDC) contre les groupes d’assaillants qui tuent les civils. Le bilan catastrophique de l’initiative gérée dans l’opacité renforce la conviction sur les responsabilités directes de certaines unités de la grande muette dans l’organisation des carnages.
Dans une tribune publiée sur la presse locale le mardi 24 juin, l’élu provincial Jean-Paul Ngahangondi, fondateur de l’ong Convention pour le respect des droits de l’homme (CRDH), dénonce les ambigüités des acteurs étrangers et locaux dans le phénomène des massacres.
« Utilisez les moyens que vous avez dans les Nations-Unies »…
On lit dans les extraits que « L’embuscade tendue contre les casques bleues de la Monusco dans le tronçon Beni-Kasindi à Makisabo est une énième preuve que l’insécurité caractérisée par des massacres de la population, incendies des maisons, pillages, vols en mains armées, embuscades, enlèvements et kidnappings est loin d’être maîtrisée par les forces armées et de l’ordre de la République Démocratique du Congo appuyées par les forces onusiennes de la Monusco. Les ADF et d’autres forces obscures qui entretiennent au quotidien cette insécurité ont toujours bénéficié d’une certaine léthargie de la part de l’État Congolais et des Nations-Unies. Plus de 4000 civils tués et plus d’une certaine kidnappés par les assaillants… La région de Beni est devenue un véritable mouroir. On dirait que les Nations-Unies et l’État congolais attendent que tout Beni ville et territoire deviennent des cimetières pour parler de la paix… Nous ne voulons pas la paix des cimetières. Donnez-nous la paix, la paix reste notre droit inaliénable. Utilisez les moyens que vous avez dans les Nations-Unies, utilisez les moyens que vous avez à Kinshasa pour imposer la paix et la sécurité… ».
Ponctué d’allusions évidentes -là où l’on écrit léthargie, on pourrait lire complicité…-, le cri d’alerte du député rime avec les déclarations systématiques des Ong et des activistes locaux. Le dimanche 28, la société civile du secteur de Ruwenzori, où les attaques ont fait plus de 63 victimes depuis le 17 février, a déploré dans un communiqué l’absence des services de sécurité dans les agglomérations touchées par les tueries.
Les habitants savent que ces disparitions soudaines des militaires ne sont pas dues au hasard. Quand le général Mundos organisait les attaques en 2014/15, il retirait ses troupes, ouvrait un couloir aux agresseurs, puis en couvrait le désengagement. Ainsi, les meurtres ne s’arrêtent pas. Le même dimanche à Maleki, les assaillants ont tué deux personnes et enlevé un nombre imprécisé de paysans. Un sit-in contre l’insécurité a été organisé devant la mairie de Beni où les groupes d’autodéfense poussant comme des champignons. Autant que les bandes armées : selon le Baromètre sécuritaire du Kivu (KST), une nouvelle milice appelée Tasuvanyuma est opérationnelle depuis mars dans la zone de Mwenda.

La bataille de la Semuliki
Et les NU ? Dans un communiqué de presse signé le mardi 23 juin, la représentante spéciale du secrétaire générale de l’ONU en RDC et cheffe officielle de la Monusco, l’algérienne Leïla Zerrougui , condamne l’attaque perpétrée par des éléments « présumés Adf » qui a coûté la vie au soldat indonésien.
Le lieu de l’événement est emblématique. Le 17 septembre 2017, il fut le théâtre de la « bataille de la Semuliki ». Le camp des soldats tanzaniens de la force d’élite de la MONUSCO, la fameuse Brigade d’Intervention (BIP), est pris d’assaut. Les combats durent plusieurs heures sans qu’un peloton des FARDC, basé sur l’autre rive du fleuve, intervienne. A la fin, on compte 15 casques bleus tués et 53 blessés. Le bilan le plus lourd depuis le début de la Mission en RDC est vite attribué aux « Adf »… Un expert militaire de la région souligne que « Pour frapper à ce point en une seule fois, les attaquants étaient bien armés et organisés, ou alors soutenus par des forces extérieures ». Ce n’est certainement pas le profil d’une de ces milices tueuses de civils désarmés et labellisées Adf.
On saura plus tard, en voie officieuse, que les assaillants avaient pu facilement accéder dans l’enceinte du camp car ils étaient connus par ses occupants ! Il s’agissait probablement des effectifs d’une unité spéciale FARDC, qui venaient se ravitailler en nourriture, comme il était dans leurs habitudes.
Toujours est-il que les réactions de la Maison de Verre furent largement au-dessous de la gravité des faits. Histoire de confirmer son rôle d’alliée indéfectible du régime et de son armée, jusqu’au prix du sang et au sacrifice de ses propres éléments. Comme celui des deux experts assassinés au Kasaï en 2017.
Si rien ne se produira pour faire bouger les lignes, la donne ne changera pas. Le commandant intérimaire de la Force de la MONUSCO, le Général Thierry Lion, et le Représentant spécial adjoint du Secrétaire général des Nations Unies en RDC en charge de la Protection et des Opérations, François Grignon, sont les véritables patrons de la Mission. Ils viennent du même pays, la France, qui tient depuis toujours la haute main du DPKO (Département des opérations de maintien de la paix des NU) et a fixé, depuis ses débuts, la ligne de conduite des casques bleus au Congo-Kinshasa.
Pour renforcer cette « stratégie » de connivence, le 27 juin, Azarias Ruberwa a été nommé ambassadeur de la RDC à l’ONU. Un fidèle de l’« ancien régime », qui garde toujours les rênes des FARDC, notamment de ses forces sur place à l’Est.
Luigi Elongui