Le monument, le ministre et les généraux félons
A Beni, où une statue vient d’être érigée pour commémorer les 4000 victimes des massacres, le commandant en chef de la Sukola1 déclare être en train de « repasser la stratégie », pour arrêter l’extermination…
Mais les tueries ne cessent pas et des députés nationaux ont initié une motion de défiance contre le titulaire de la Défense. Pour le solliciter à mettre à l’écart les officiers considérés impliqués dans les atrocités ?
06 / 06 / 2020
« Ce monument est érigé pour immortaliser les innocents tués depuis plus de six ans sans aucune forme de procès ni intervention de la communauté internationale. C’est inconcevable de pouvoir tuer les gens devant une très grande force de la Monusco, ça fait mal ! Un jour, justice sera rendue, vu que la RDC se recherche sur le plan judiciaire. Tous ces égorgeurs qui se cachent derrière l’ADF seront connus et traduits en justice ».
Pendant l’interview accordée il y a deux jours à Kis24.info 2020 à Goma, le député provincial de Beni (Nord-Kivu, Est de la république démocratique du Congo), Alain Kasereka Siwako, dit à mots à peine voilés les quatre vérités que les autorités congolaises ne veulent pas entendre. Car parler d’ « égorgeurs qui se cachent derrière l’ADF » suggère la présence d’une main noire dissimulée par cette étiquète, utilisée en voie officielle pour nommer les auteurs des crimes. Et affirmer que la RDC « se recherche sur le plan judiciaire » équivaut à dénoncer une magistrature inféodée à ce pouvoir occulte qui tire les ficelles des tueurs depuis octobre 2014.
Raison pour laquelle la décimation des civils ne cesse pas : 684 victimes depuis le 1er novembre 2019, jour du début des Opérations de grande envergure de l’Armée, censées anéantir les équipes meurtrières, et qui ont en revanche produit une augmentation exponentielle des violences et la percée des assaillants dans la province de l’Ituri. En juin, les attaques de Mighende, Kichele, Bulongo, Moussa, Luna-Samboko, Loselose et Ngadi ont provoqué la mort de 32 personnes.
« L’ennemi est devenu errant et mouvant »…
Pourtant le 4 juin, le patron de l’Opération Sukola1 lancée en janvier 2014 pour mettre fin aux kidnappings et aux violences dans le territoire de Beni, le général Jacques Nduru Ychaligonza, a déclaré avec aplomb : « Nous sommes en train de repasser nos stratégies pour mettre fin à toutes ces tueries commises par les rebelles ougandais de l’ADF contre la population civile », avant d’assurer que tous les bastions des « rebelles » sont sous contrôle de l’Armée (FARDC). Ce qui n’explique pas la défaite infligée à cette dernière par les assaillants le 27 mai à Makembi. Les Fardc y ont perdu 23 soldats. Notre général ne manque pas de justifier le revers, en précisant que « l’ennemi est devenu errant et mouvant».
Une communication inaudible, même comique si on n’était pas dans le contexte d’une tragédie interminable Et qui confirme la présomption de culpabilité des sommets de l’Armée dans l’organisation de ce long crime d’Etat.

Déterminés à faire bouger les lignes, les parlementaires originaires des provinces orientales amorcent une réaction. Mercredi 3, l’honorable Hiracan Gratien de St Nicolas dépose à l’Assemblée nationale une motion de défiance signée par 50 députés nationaux, toute tendance confondue, contre le ministre de la Défense Ngoy Mukena et souligne que « la question liée à l’insécurité à l’Est de la RDC doit être traitée avec responsabilité. On a eu plus de 1000 morts en 2020 dans l’ensemble de l’Est ». Fin février en visite à Beni, Ngoy Mukena avait invité les paysans déplacés à cause des tueries à regagner leurs champs. « La situation est sous contrôle », avait-il décrété. Puis, les attaques des « présumés ADF » ont suivi, avec un lot de 228 victimes jusque à aujourd’hui. Elles auraient pu être beaucoup plus nombreuses si les paysans l’avaient écouté !
Des officiers « suspects »
A Beni, parmi les élus, les Ong et les groupes de pression, les informations circulent sur les officiers suspects, même si les bouches restent cousues. Une liste de ceux qui seraient au moins de connivence avec l’ « ennemi » est dressée. Les colonels Tipy Ziro Ziro et Kisembo y sont mentionnés. Tout comme le colonel Ngabo, affecté au bureau T2 (renseignements) à Beni et ancien collaborateur du général Dieudonné Muhima, bras droit du général Mundos (1) pendant le premier cycle des massacres (octobre 2014-juillet 2015).
Le général Peter Chrimwami Nkuba est le plus illustre de ceux que les Beniciens appellent -avec des mots un peu réducteurs-, les « infiltrés » dans les Fardc ou les « complices » des agresseurs. Commandant adjoint chargé des opérations de la Sukola1, cet officier mushi du Sud-Kivu est en réalité considéré l’homme fort de l’armée à Beni. Spécialiste du renseignement, il dirigerait les membres des Fardc qui doivent assurer la logistique des assaillants pendant les massacres. Selon deux sources de Maelezo Kongo, l’une diplomatique et l’autre militaire, Chirimwami aurait participé, fin août dans un hôtel de Beni et en compagnie du feu le général Delphin Kahimbi, à une réunion avec deux figures importantes des ADF résiduelles pour en planifier les actions pendant les Opérations de grande envergure à venir.
Les députés qui ont décidé de mettre la pression sur le ministre de la défense Ngoy Mukena s’attendraient-ils de ce dernier des mesures de « nettoyage » dans les rangs des Fardc ? Cela reste à savoir, mais la vérité qui se fait jour laisse entrevoir une lueur d’espoir.
1 Voir papiers précédents : « Qui est l’ADF et qui est la police… ? », « ADF » : de qui le « diable » est-il le nom ?, EST de la RDC : le grand écart de la terreur et son engrenage.
Luigi Elongui